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« Les conseillers en insertion ont développé un art du compromis et de la persuasion »

L’ouvrage « Le travail de conseiller en insertion » explore la réalité concrète de ce métier, ses contraintes et ses marges de manoeuvre, loin des visions idéalisées ou des propos incantatoires. Un manuel destiné à outiller les professionnels, dirigé par Christophe Trombert, maître de conférences en sociologie à l’université Lyon 2 et Léa Lima, maître de conférences en sociologie au CNAM de Paris.

Pourquoi cet ouvrage ?
Face à l’éclatement du champ de l’insertion tant sur le plan des dispositifs, que de la formation et des acteurs, il nous a semblé nécessaire de concevoir un manuel du conseiller en insertion sociale et professionnelle. Nous l’avons pensé comme une boîte à outils permettant de comprendre la logique, les principes et les écueils des métiers d’accompagnement dans le champ de l’insertion. Nous nous sommes appuyés sur nos expériences de formation et nos recherches dans le cadre de la licence professionnelle « Coordonnateur de projets collectifs en insertion » – aujourd’hui licence professionnelle « insertion et réinsertion sociale et professionnelle » – et du titre RNCP « Chargé d’accompagnement social et professionnel » du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) et nous avons fait appel à des intervenants de ce cursus.

Peut-on parler « du » conseiller en insertion ?

C’est une appellation générique qui recouvre des milliers de professionnels : conseillers des missions locales, référents « insertion » du revenu de solidarité active (RSA) des conseils départementaux ou d’associations, opérateurs privés de placement, etc… Néanmoins s’il n’y a pas de qualification type ou d’intitulé officiel de métier, on retrouve des caractéristiques communes à ces professionnels : le recrutement au départ sur un emploi précaire du fait de la succession des dispositifs – TRACE (trajet d’accès à l’emploi), CIVIS (contrat d’insertion dans la vie sociale), RSA, etc. -, l’objectif d’insertion professionnelle de publics en difficulté qui oblige à prendre en compte certaines de leurs problématiques sociales, l’ancrage dans un territoire et le travail en réseau avec les acteurs du champ social et professionnel, y compris les entreprises.

Votre ouvrage se veut centré sur « le travail réel du conseiller en insertion » …

Nous avons voulu éviter la vision idéalisée et normative du travail du conseiller en insertion ou l’énoncé de principes généraux inapplicables en nous focalisant sur le travail réel de ce professionnel. En cela, nous l’avons voulu impertinent. Nous décrivons par exemple une semaine type d’un conseiller en insertion afin de montrer la diversité des situations et des tâches rencontrées mais aussi ses contraintes et ses possibilités d’action. On s’aperçoit ainsi qu’il passe beaucoup de temps à recevoir les personnes mais qu’il manque de temps et d’outils pour développer des partenariats avec les employeurs locaux. Il est aussi de plus en plus obligé de piocher dans une offre de formations prédéfinie, ce qui ne lui permet pas de faire du sur-mesure. Beaucoup se plaignent aussi du manque d’emplois aidés et de la rareté de l’offre dans le champ de l’insertion par l’activité économique.

Quelle est la difficulté principale de ce métier ?
Les conseillers sont pris entre les attentes des politiques publiques, des employeurs et des demandeurs d’emploi et doivent gérer des contraintes difficilement conciliables à première vue. Quantitatives tout d’abord puisqu’il s’agit de mettre en cohérence des quantités de demandeurs d’emploi, d’offres d’emploi disponibles, d’objectifs de retours à l’emploi, de places disponibles, d’actions à consommer, etc. ; qualitatives ensuite puisqu’il s’agit aussi de concilier les représentations divergentes des uns et des autres sur l’employabilité et les compétences d’une personne en insertion.

Comment s’en sortent-ils ?
Ils ont développé un art du compromis et de la persuasion, un jeu habile avec le malentendu. Ils vont devoir persuader certains demandeurs d’emploi qu’il vaut mieux débuter par un travail un peu insatisfaisant et remettre à plus tard un projet professionnel plus ambitieux. Mais ils vont aussi être capables de convaincre tel employeur de recruter telle ou telle personne qui a antérieurement donné toute satisfaction. S’il arrive souvent que les contraintes d’objectifs conduisent à des effets pervers comme l’écrémage des publics ou des orientations en fonction des places disponibles, il n’en reste pas moins que la plupart des usagers apprécient leur qualité d’écoute et de soutien notamment en cas de problèmes financiers ou de logement.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin