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« La mesure de protection replace la personne protégée dans un schéma infantile »

Dans son ouvrage « Mandataire judiciaire à la protection des majeurs : protéger l’autre, se préserver soi », Christophe Mieusement, psychologue clinicien, s’intéresse à la forme particulière d’accompagnement du métier de mandataire. Comment ce dernier peut-il penser son action ? Et comment peut-il réagir en cas de difficultés professionnelles ?

Vous proposez une méthode clinique pour aborder le rôle du mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM). Qu’entendez-vous par là ?
Cet ouvrage vient combler un manque dans les approches proposées aux MJPM. Les questions juridiques et les enjeux éthiques ont été abondamment explorés. En revanche, l’accompagnement médico-social auprès d’une personne vulnérable a été laissé de côté. A partir de mon expérience auprès des MJPM, j’ai tenté de développer une approche clinique qui étudie le rapport particulier qui unit le mandataire à la personne protégée. Quels sont les enjeux de cette relation ? Sur quoi fonder la pratique ?

Comment le MJPM doit-il aborder sa relation avec la personne protégée ?
Il doit d’abord savoir évaluer la perte d’autonomie des personnes qu’il accompagne. Pour cela, il est nécessaire de connaître les caractéristiques des publics potentiellement concernés : personnes souffrant de handicap psychique, de handicap mental et celles souffrant de pathologies liées au vieillissement. Ensuite, il doit tenir compte des spécificités du lien créé par la décision de justice instaurant la mise sous protection : le MJPM est en effet pris dans une injonction paradoxale entre le devoir de protéger la personne, parfois même par la contrainte, et celui de l’accompagner, ce qui implique de tenir compte de l’avis de cette dernière. Il doit alors être en mesure d’identifier les éléments de transfert et de contre-transfert de cette relation. Enfin, il doit reconnaître les motivations intimes qui l’engagent dans ce métier éprouvant afin de ne pas se laisser déborder et aller au-delà de ses limites personnelles et de celles du mandat de protection.

Comment doit-il aborder la gestion financière ?

Gérer l’argent d’une personne adulte n’est pas neutre. La mesure de protection replace la personne protégée dans un schéma infantile. Comme lorsqu’elle était enfant, elle doit passer par un tiers pour obtenir de l’argent. Il s’agit d’une forme de régression qui réactive une tendance à la manipulation pour obtenir gain de cause. En réaction, le risque est que le MJPM soit poussé à endosser la place de « parent ». L’analyse transactionnelle peut aider le professionnel à se dégager de ce type d’interaction et à maintenir une relation égalitaire, d’adulte à adulte. Elle lui permettra par exemple d’éviter certains tics de langage. Plutôt que de dire à la personne protégée : « je ne peux pas vous donner de l’argent », il pourra lui dire : « le budget que nous avons établi ensemble ne me permet pas de vous donner de l’argent », et lui redonner ainsi son statut d’adulte responsable.

Comment gérer l’agressivité et la violence ?
L’agressivité et la violence font partie du métier de mandataire. Mais ce dernier les confond souvent. Or, du fait de la mesure, la personne protégée peut ressentir une frustration légitime et manifester de la colère, voire de l’agressivité à l’égard du MJPM. Si cette agressivité reste acceptable, la violence ne l’est pas. C’est la transgression – propos, geste ou comportement qui enfreint le règlement ou la loi – qui permet alors de distinguer le comportement agressif du comportement violent. En cas de violence, le professionnel doit recadrer la relation et rappeler les interdits. Ce n’est pas parce qu’il est face à une personne vulnérable qu’il doit se laisser menacer et insulter. Mais la violence doit aussi être gérée par les services tutélaires par des procédures et des rappels à la loi. Une fois la relation recadrée, les passages à l’acte diminuent dans les institutions.

Comment éviter l’épuisement professionnel ?
Les mandataires judiciaires souffrent de quatre formes de stress : le stress décisionnel parce qu’ils doivent prendre beaucoup de décisions qui les engagent moralement et pénalement ; le stress com-passionnel avec un risque d’épuisement empathique ; le stress organisationnel dû à une forte charge de travail ; enfin, le stress relationnel parce qu’ils sont exposés à des relations souvent conflictuelles avec les personnes protégées, les familles ou encore les partenaires. Pour prévenir le risque d’épuisement professionnel, les mandataires peuvent travailler sur un plan cognitif, notamment en faisant taire leur « critique intérieure » et en ayant de la bienveillance avec eux-mêmes, en opérant un audit de leur organisation de travail ou encore en se formant à la gestion des relations complexes et conflictuelles. Les possibilités d’action sont nombreuses. Elles passent cependant pour le professionnel par le refus d’un sentiment de culpabilité et une sortie de l’isolement.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin