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Que signifie la relation d’aide : « faire » des actes techniques ou accompagner ?

Dans « Distance et proximité en travail social », Dominique Depenne, formateur à Buc-Ressources et sociologue, revendique la proximité pour entrer en relation dans le travail social. A partir des apports de plusieurs penseurs, il invite à reconsidérer les concepts de relation, d’accompagnement, d’engagement… A une époque de standardisation des pratiques, un ouvrage revivifiant pour les professionnels !

Vous dénoncez l’idéologie de « la mise à distance » dans le travail social. Pourquoi ?
Le discours dominant de « la distance » ou de « la bonne distance » avec celui ou celle qu’on ac-compagne repose sur une logique de chosification des relations humaines et une indifférence à Autrui. Ce que le Moi met à distance, il ne peut jamais le rencontrer. C’est comme si certains experts s’autoproclamaient détenteurs d’un savoir sur ce que serait cette fameuse « bonne distance ». On ne dit d’ailleurs jamais où elle se situe parce que c’est une question totalement absurde. La question relationnelle n’a rien à voir avec la spatialité ! On peut en effet entretenir des liens fusionnels avec une personne décédée. Le discours sur la distance repose sur un bluff et vient servir les logiques technicistes qui ont envahi le travail social.


Selon ses défenseurs, la distance permettrait d’éviter la fusion avec la personne accompagnée…

C’est un leurre parce que la distance ne permet pas plus d’entrer en relation que la fusion : la première signifie l’annulation de l’altérité d’Autrui par exclusion ; la seconde l’annulation de l’altérité d’Autrui par absorption. Une relation n’est possible qu’entre des individus différenciés et qui le de-meurent. Elle s’effectue dans la proximité qui, dans la pensée éthique d’Emmanuel Levinas, n’a rien à voir avec un état fusionnel. Selon ce philosophe, il ne peut y avoir de proximité que s’il y a distinction c’est-à-dire une séparation radicale entre Moi et Autrui et que la différence est accueillie comme une richesse.

Vouloir être à distance d’un individu serait même, selon vous, une absurdité…
Je m’appuie à cet égard sur la pensée du sociologue Norbert Elias, qui ne parle pas de distance mais de « distanciation », indiquant par là qu’il ne s’agit pas d’un état figé mais d’un processus. Il explique qu’on ne peut qualifier de manière absolue l’attitude d’un être humain de distanciée ou d’engagée parce que les individus penchent davantage vers l’un ou l’autre pôle selon l’état d’évolution sociale. Ce qui accentue l’idée que le discours sur la distance est faussé puisqu’il reflète l’état de notre société rationaliste et techniciste. En outre, le sociologue explique que vouloir s’en tenir à une posture distanciée ou engagée condamnerait toute vie sociale parce qu’il y a une interaction continuée entre les deux.

La distance et la proximité seraient donc les deux faces de la relation ?
A partir de la pensée de Georg Simmel, on peut effectivement analyser la distance et la proximité comme deux polarités opposées qui ne détruisent pas mais renforcent au contraire la relation. Elles expriment un continuum. Pour qu’il y ait relation, il faut qu’existe une possibilité de perte ou d’agrandissement et donc une dynamique de mouvement. Il faut maintenir un jeu entre les deux acteurs, ce qui signifie respecter la singularité d’Autrui et l’accueillir dans ce qu’il est. Chaque fois qu’un accompagnant réduit un accompagné à un diagnostic, il l’annule en tant qu’altérité et supprime toute possibilité de jeu relationnel.

Que déduire des réflexions de ces penseurs pour l’accompagnement dans le travail social ?

Chacun à sa façon nous amène à considérer que l’accompagnement ne peut se réaliser que dans la relation qui doit être comprise comme un processus dynamique et une interaction entre deux personnes qui ne peuvent exister que dans la proximité. Les travailleurs sociaux ne doivent plus craindre l’engagement dans la relation qu’il ne faut pas réduire à un acte de volonté parce qu’il résulte de la responsabilité éthique vis-à-vis d’Autrui, respecté dans son altérité. Néanmoins cet engagement n’est pas sans limite puisque les professionnels interviennent au nom d’une mission qui fait tiers. Cet essai vise à aider les travailleurs sociaux à s’interroger. Que signifie la relation d’aide :« faire » des actes techniques ou accompagner ?

Propos recueillis par Isabelle Sarazin