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« Le numérique n’est qu’un outil au service de la relation »

Dans son ouvrage « Accompagner la transformation numérique du secteur social et médico-social », Christian Viallon, docteur en sciences de l’information et de la communication et ancien directeur d’établissement, propose une approche pragmatique aux dirigeants pour amorcer ce virage technologique. Avec un objectif : faire du numérique un instrument pour améliorer le parcours des personnes accompagnées.

Pourquoi la transformation numérique vous semble-t-elle incontournable pour les établissements ?
Parce que le monde est devenu numérique et que les personnes, dans le secteur social et médico-social, y participent avec leur smartphone indépendamment des questions de génération ou de catégorie socio-professionnelle. La crise sanitaire n’a fait qu’amplifier les choses parce que le confinement et la distanciation physique ont obligé à reconfigurer les liens sociaux en s’aidant de la technologie numérique. Jamais nous n’avons à ce point mesuré l’importance du traitement de l’information : qu’il s’agisse de suivre les cas, de tracer les contacts, de diffuser des consignes, le numérique est fortement sollicité. Le retour en arrière n’est plus possible.

Il y a aussi une opportunité à saisir pour les dirigeants….
En effet, la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a entrainé la mise en place de la feuille de route « Accélérer le virage numérique » qui prévoit, parmi ses actions, l’élaboration d’un « Plan établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) numérique ». Le législateur considère que le numérique, parce qu’il facilite le partage des données relatives à la santé, au médico-social et au social, est une ressource au service de l’amélioration du parcours de soin des personnes. Cette volonté politique vient d’être dotée de moyens puisque le plan de relance de septembre 2020 affecte 600 millions d’euros au « Plan ESSMS numérique » sur cinq ans. Du jamais vu dans le secteur ! Une somme suffisante pour numériser la quasi-totalité des services médico-sociaux en France. L’occasion ne se présentera pas deux fois.

Comment s’y prendre pour les dirigeants ?
L’enjeu de la transformation numérique n’est pas technique mais stratégique. La solution pour un dirigeant n’est donc pas de laisser les clés à un prestataire mais de se mettre aux manettes en se faisant bien entendu assister par des personnes compétentes. C’est pourquoi ce guide s’adresse aux cadres dirigeants, élus et administrateurs. Nous leur proposons d’élaborer une feuille de route du système d’information de l’établissement, qui inclut l’informatique, les activités numériques mais aussi les procédures et les acteurs, sur 3 ou 5 ans. C’est une démarche très structurée avec différentes étapes que nous détaillons précisément, qui associe l’ensemble des acteurs : à partir d’ un diagnostic des systèmes d’information existants, il s’agit d’identifier les projets, de les organiser en fonction des orientations stratégiques que l’on a définies et de bâtir des scénarios de mise en œuvre.

Comment éviter que le numérique ne prenne le pas sur la relation ?
Le numérique n’est qu’un outil au service de la relation, qui reste l’élément central de l’accompagnement social. C’est pour cela qu’à mes yeux, l’orientation stratégique la plus importante est de faire en sorte que les personnes accompagnées soient actrices de leur parcours. C’est elle qui donne sens au projet de numérisation du dossier unique de l’usager en faisant de ce document non pas un élément de gestion administrative mais un instrument intégrant toutes les fonctionnalités utiles à la coconstruction de son projet, à son accès à l’information et à l’expression de ses besoins et garantissant la sécurité et la confidentialité des données. Une augmentation du pouvoir d’agir de l’usager qui serait inenvisageable sans le numérique !

Comment mobiliser les équipes et lever les réticences ?
La démarche doit être partagée avec les travailleurs sociaux et les personnes accompagnées. Il ne s’agit pas de plaquer des outils numériques sur les pratiques et de compliquer la vie des professionnels. Il faut accompagner ces derniers en développant des applications qui s’inspirent des usages qu’ils ont du numérique, y compris dans leur pratique personnelle. Il faut aussi les former à cet écrit particulier qui s’affiche et peut être partagé instantanément avec d’autres professionnels, et dédramatiser ainsi le changement.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin