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« La laïcité ne propose pas une « bonne » réponse aux professionnels »

Auteure de « Faits religieux et laïcité : le travail social à l’épreuve », Faïza Guélamine, responsable de formation de l’ANDESI (Association nationale des cadres du social) éclaire, en s’appuyant sur de nombreux témoignages de professionnels, les termes du débat et ouvre des pistes utiles pour l’action.


Comment les faits religieux font-ils irruption dans le travail social ?
Ils se manifestent sous de multiples formes tant du côté des personnes accompagnées que des travailleurs sociaux. Ce sont, par exemple, les demandes d’usagers d’adapter les repas en fonction de leurs interdits alimentaire ou de bénéficier d’autorisations d’absence pour aller prier à l’église ou la mosquée. Si, dans bien des cas, ces requêtes donnent lieu à des aménagements et ne posent pas de difficultés, elles peuvent parfois créer des conflits dans l’institution. Mais l’irruption du religieux vient aussi des travailleurs sociaux lorsque, au nom de leurs croyances, ils s’opposent à ce que leur service prenne en compte ces demandes spécifiques. Ils font alors passer leurs convictions avant l’exercice de leur mission, ce qui peut là aussi entraîner des conflits au sein des services.

 

Comment expliquer la difficulté de nombreux professionnels à appréhender les faits religieux ?
On peut l’expliquer par la culture du travail social qui s’est construite en partie par son affranchissement progressif par rapport à ses origines religieuses. D’où le sentiment de nombreux intervenants d’être renvoyés à une époque révolue et dépassée. Intégrer la spécificité religieuse leur apparaît alors comme un danger : celui de servir des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt collectif. Par ailleurs, les faits religieux ébranlent chaque professionnel dans son rapport intime aux croyances et au sacré, d’autant que les situations peuvent les affecter et les choquer. Sans compter, parfois, leur difficulté à distinguer, dans certains comportements d’usagers, ce qui relève du religieux ou d’attitudes ou de stratégies pour se faire entendre, s’opposer, voire provoquer.

 

La laïcité peut-elle alors être un point d’appui ?
Oui, mais à condition de ne pas l’utiliser pour justifier des interdits hors du cadre légal ou, au contraire, pour accepter la diversité sans aucune régulation. La laïcité doit être appréhendée comme un cadre garantissant une coexistence pacifique entre l’État et les cultes. C’est un principe politique qui affirme avant tout la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire et qui ne saurait être confondu avec l’athéisme ou la neutralité (2). En ce sens, la laïcité renvoie bien à la mission d’accompagnement des travailleurs sociaux dans « le respect des individus » et sans juger leurs pratiques religieuses (3). En même temps, la liberté de conscience n’est pas absolue et s’arrête dès lors qu’elle porte atteinte à la liberté d’autrui, ce qui peut justifier certaines restrictions.

 

Ce qui, en pratique, peut poser des difficultés…
En effet, car la laïcité ne propose pas une« bonne » réponse. C’est un principe général qu’il faut articuler à la vie institutionnelle. Par exemple, bon nombre de structures acceptent de servir des repas halal alors que d’autres refusent en estimant, eu égard à la diversité de leurs publics, que cela risquerait d’entraîner un afflux de requêtes particulières qu’elles ne pourraient gérer. Au nom de la laïcité, plusieurs solutions sont envisageables à condition que soit préservée la liberté de conscience, qu’il n’y ait pas de trouble à l’ordre public ou de traitement discriminatoire.

 

Dès lors comment les institutions composent-elles ?
On assiste à deux types de comportement. Soit elles traitent les difficultés liées aux faits religieux comme d’autres situations complexes. Soit elles essaient de les anticiper en produisant des guides, des chartes sur la laïcité ou en réunissant des groupes de travail pour que l’ensemble des salariés se saisisse de cette question et dégage des lignes directrices valables pour tous.

 

Propos recueillis par Isabelle Sarazin

(1) L’article 1 de la loi de 1905 proclame que « la République assure la liberté de conscience ».
Une liberté garantie par la neutralité de l’État.
(2) Voir l’avis du 9 décembre 2015 du Conseil supérieur du travail social.