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Christian Allard : « Les professionnels de l’ASE doivent s’engager affectivement »

Les enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) ont besoin avant tout d’attachement affectif pour se reconstruire. Dans son livre « L’affectif et la protection de l’enfance », Christian Allard, responsable d’un placement familial départemental, invite ainsi les intervenants à s’impliquer dans la relation.

Vous dénoncez le processus de « désaffectivation » des professionnels de l’ASE…
Il y a toujours eu des intervenants tentés par la « désaffectivation », c’est à dire par le désinvestissement affectif, afin de ne pas affronter la complexité des situations. Mais aujourd’hui, le système les y encourage. L’acte éducatif est peu à peu remplacé par l’acte administratif. Par exemple, dans certains départements, alors qu’auparavant on prenait le temps d’étudier la situation de l’enfant avant de le confier à une assistante familiale, c’est aujourd’hui l’ordinateur qui fixe la date de son arrivée en famille d’accueil à partir de l’heure d’admission de son dossier. De même, les rapports éducatifs tendent à être remplacés par de simples grilles à cocher. La multiplication des protocoles et des procédures vont à l’encontre de la relation authentique et du nécessaire engagement affectif des professionnels auprès des jeunes. On leur dit même qu’ « il ne faut pas s’attacher » et l’on considère presque comme une faute leur implication dans la relation !

 

Pourtant la loi reconnaît désormais l’importance de la dimension affective…
Effectivement, et c’est bien parce le législateur avait constaté, à la suite de plusieurs cas médiatisés, les ravages liés aux ruptures affectives successives chez certains enfants placés, qu’il a introduit le terme « affectif » dans la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance et celle du 14 mars 2016. L’ « affectif » est reconnu comme un« besoin fondamental »au même titre que les besoins physique, intellectuel et social. L’enfant doit, en outre, bénéficier d’une « continuité affective », qui doit être organisée par le service d’accueil en cas de « difficultés relationnelles et éducatives graves » des parents. De plus, la loi de 2005 réformant le statut des assistantes familiales insiste sur leur rôle dans le « développement affectif » du mineur. Les textes n’ont jamais autant prôné l’importance de l’affectif mais les pratiques ne suivent pas !

 

Que faut-il entendre par « affectif » ?
C’est un terme polysémique. Quand le législateur parle de développement physique, affectif intellectuel et social, il vise l’unité de l’être humain, dans toutes ses dimensions : le corps et l’esprit, le somatique et le psychologique. Quand il évoque la continuité affective, il aborde la tendresse et l’affection. Tout enfant, et tout être humain en général, ne découvre le monde qu’à travers ses affects – ses émotions, ses sentiments, ses désirs…. Mais il n’accède à ses affects que s’il est en relation avec quelqu’un. Il faut donc, dans le cadre du placement familial, offrir à ces enfants la sécurité affective que leurs parents défaillants sont incapables de leur apporter.

 

Qu’est-ce que cela implique pour l’assistante familiale ?
Son rôle est d’offrir à l’enfant une place dans sa famille afin qu’il mène la vie la plus normale possible. Il s’agit de le réchauffer, de le réanimer parfois, en lui offrant une stabilité affective. L’assistante familiale ne doit surtout pas avoir peur de s’attacher, d’aimer cet enfant, de partager ses affects car c’est ce lien qui va aider celui-ci à se libérer de ses angoisses. Mais cette position n’est tenable que si elle se sent encordée à une équipe, qui va lui permettre d’engager, dans un second temps, un travail d’élaboration. Si elle est seule, elle risque de devenir folle et de s’enfermer dans la relation.

 

Que signifie pour l’éducateur d’être engagé affectivement ?
J’ai l’habitude de dire que la famille d’accueil remet sur le chemin de la vie tandis que l’équipe, notamment l’éducateur référent et le psychologue, essaie d’aider l’enfant à tisser le fil de sa pensée. Si l’éducateur établit une relation professionnelle avec le jeune, il ne peut le faire qu’en s’y impliquant personnellement. Par la proximité, grâce à l’histoire partagée, il sert de « bouclier émotionnel » à l’enfant. L’engagement affectif est donc une force pour l’éducateur, mais à condition qu’il soit soutenu par un travail en équipe et une supervision. La distance ne peut exister que dans l’après de la relation.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin