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« S’il n’y a pas de relation avec les personnes polyhandicapées, rien ne sera possible »

Dans « Le polyhandicap au quotidien », Catherine Derouette, directrice d’un établissement pour enfants polyhandicapés, nous invite à découvrir la richesse du travail des accompagnants éducatifs et sociaux – qui ont remplacé les aides médico-psychologiques (1). Loin des clichés.


Votre ouvrage est finalement un hommage au métier d’accompagnant éducatif et social…

J’aborde le polyhandicap à travers ce métier car il occupe une place essentielle au sein de l’équipe pluridisciplinaire et reste insuffisamment reconnu. Les accompagnants éducatifs et sociaux interviennent au quotidien auprès des enfants, adolescents ou adultes polyhandicapés, assurant une surveillance de tous les instants et effectuant des gestes – l’aide au déplacement, la toilette, les changes, les repas – qui prennent beaucoup de temps. Cette présence dans la durée leur donne une connaissance fine des personnes qu’ils accompagnent : ce sont eux souvent qui repèrent des petits détails, des évolutions, voire des progrès passés le plus souvent inaperçus aux yeux de l’équipe. Leur observation est indispensable.

On réduit souvent leur rôle à leurs gestes techniques. En quoi ces intervenants ont-ils un rôle éducatif ?

Vis à vis de personnes qui ne parlent pas ou qui présentent des déficiences cognitives et/ou motrices importantes, c’est justement le temps accordé au moment de la toilette ou des repas qui permet d’instaurer la confiance, de nouer une relation et de faire émerger des « possibles ». L’accompagnant éducatif et social peut ainsi, lors des changes, amener l’enfant à apprendre à soulever son bassin et expérimenter. Il peut aussi, au moment des repas, l’accompagner à utiliser la cuillère, voire à manger seul. C’est grâce au temps passé dans les actes du quotidien et à la qualité de la relation que l’autonomie des personnes peut être améliorée.

Vous invitez aussi les accompagnants éducatifs et sociaux à être audacieux et imaginatifs…
Il y a autant de polyhandicaps que d’enfants polyhandicapés. Certains sont plus compétents sur le plan moteur, d’autres sur le plan cognitif ou sensoriel. Il faut donc s’adapter à chacun et faire preuve de créativité, d’imagination et d’innovation pour créer des activités pertinentes. Ce qui marche le mieux, ce sont les ateliers qui croisent les regards de plusieurs professionnels. Par exemple, un atelier « cuisine » peut être co-animé par l’accompagnant éducatif et social qui connaît bien les enfants dans leur quotidien, l’orthophoniste qui va travailler sur l’oralité et le kinésithérapeute. Le regard croisé des professionnels permet d’imaginer un accompagnement adapté.

Face à ces publics vulnérables, comment garder la « bonne » distance ?
Travailler au quotidien auprès de ces personnes crée une grande proximité. Les enfants notamment attendent tout de l’adulte et sont particulièrement attachants. D’où le risque de créer une dépendance affective et de se substituer aux parents. Si l’affection est indispensable pour que l’enfant se construise ou pour que l’adulte se sente reconnu, elle ne doit pas être enfermante. Il est essentiel de pouvoir en parler lors des réunions d’équipe et des séances d’analyse de la pratique. Mais l’institution doit également soutenir les intervenants lors des périodes de douleur ou lors de la mort des personnes qu’ils accompagnent ; ces sujets doivent pouvoir être évoqués en dehors des situations de crise.

Justement, les accompagnants éducatifs et sociaux sont-ils bien intégrés aux équipes ?
Ils ont eu longtemps du mal à s’imposer au sein des équipes, mais les choses évoluent. Il n’y a d’accompagnement de qualité que partagé entre les divers professionnels. Les accompagnants éducatifs et sociaux doivent ainsi pouvoir participer activement à l’élaboration du projet personnalisé en apportant leur connaissance de l’usager et leurs observations sur sa fatigabilité et ses compétences. Ils peuvent également être « référents » de projets éducatifs au même titre que les éducateurs spécialisés.

Quel est votre principal message ?
J’ai essayé de partager quelques réflexions acquises au fil du temps. J’insiste néanmoins sur le fait qu’il n’y a pas une « bonne » façon de faire. L’important, surtout avec ces publics particulièrement vulnérables, c’est la rencontre. S’il n’y a pas de relation, rien ne sera possible…

Propos recueillis par Isabelle Sarazin.

(1) Depuis la fusion des diplômes d’Etat d’auxiliaire de vie sociale et d’aide médico-psychologique.