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« Si les professionnels ont le sentiment qu’ils sont soutenus et qu’on est à leur service, ils seront davantage au service des usagers. »

Dans « Le management du travail dans le secteur social et médico-social », Jean-Claude Dupuis, docteur en sciences économiques et habilité à diriger des recherches en sciences de gestion, invite les directeurs à remettre au coeur du management les personnes au travail et non pas l’activité et les ressources humaines. Un ouvrage qui propose des repères mais aussi des fiches outils pour passer à l’action.

Le management dans le champ social et médico-social se réduirait de plus à plus, selon vous, à un « management de l’activité » …
Le travail se résume de plus en plus à un moyen de produire « quelque chose » et de répondre à des besoins et attentes d’usagers/clients et on mobilise pour cela des ressources, dont des ressources humaines. On a développé des organisations orientées « usagers » où le travail se réduit à sa dimension objective, instrumentale et où le management est pensé comme une simple affaire de conception, d’organisation, d’animation et de contrôle. Avec comme conséquences : le désengagement des professionnels, la résistance au changement, les risques psychosociaux.

On occulterait donc la réalité multidimensionnelle du travail…
Le travail n’est pas simplement un moyen de production. Il peut produire de la valeur collective c’est-à-dire du lien entre les personnes au travail, et les inscrire dans l’histoire de leur métier et de leur institution. Il peut générer aussi de la valeur subjective en étant une source de développement pour la personne. Quand on dirige, on ne dirige pas des activités et des ressources mais des personnes qui sont au travail et qui éventuellement cherchent à s’exprimer dans ce qu’elles font. Si on prend en compte cette dimension, on a plus de chance d’arriver à concilier la recherche de performance, la santé, voire la qualité de vie au travail.

Comment les organisations peuvent-elles mettre en place un management « du travail » et non « de l’activité » ?
Il n’y a pas une seule façon de faire. Cela dépend à chaque fois des histoires et des contextes y compris au sein d’une même association. Il faut partir des situations réelles de travail et ajuster en permanence. Ce n’est jamais gagné une fois pour toutes. Mais le manager doit commencer par un autodiagnostic en menant une enquête au sein de son organisation avec les salariés, les usagers, les financeurs pour repérer ce que les uns et les autres attendent du travail et mettre en place éventuellement des espaces de discussion sur le travail.

Vous observez deux façons de manager dans les organisations. Quelles sont-elles ?
Une première voie est majoritaire : on a conçu une organisation pour répondre aux besoins d’accompagnement et optimiser la contrainte budgétaire. A côté, pour rendre supportable le travail des salariés, on met en place des amortisseurs – groupes de supervision, de parole, d’analyse de pratiques, etc. qui sont découplés du travail. Ce qui se dit dans ces espaces vient peu modifier l’organisation du travail. On se plaint, on dit qu’on pourrait faire autrement, mais cela ne change pas le travail car ces dispositifs sont peu connectés à la ligne managériale. C’est l’approche des risques psycho-sociaux.

Et la deuxième voie ?
C’est celle que je défends. L’objectif est de chercher réellement à avoir prise sur l’organisation du travail en favorisant une discussion collective sur le travail, en redonnant un peu plus d’autonomie aux professionnels et en faisant en sorte que leur environnement soit plus soutenant, à commencer par leur manager. Cette voie s’appuie sur deux innovations nées dans les années 70 : une innovation organisationnelle, la subsidiarité, qui vise à ce que les managers aident et suppléent mais ne décident pas à la place des salariés qui sont les experts de leur propre activité ; une innovation managériale, le « leadership par le service », qui vise à ce que le manager soit au service de ses collaborateurs de façon à favoriser la symétrie des attentions. Si les professionnels ont le sentiment qu’ils sont soutenus et qu’on est à leur service, ils seront davantage au service des usagers.

Cette évolution est-elle possible dans le contexte budgétaire actuel ?
Oui c’est tout à fait possible comme le montrent les ESSMS déjà engagés dans cette voie. Le développement des plateformes de services et des pôles de compétences et de prestations, qui favorisent un management plus transversal, devrait en outre favoriser cette évolution mais encore faut-il soutenir et tirer parti des expériences déjà engagées.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin