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« Si on respecte la clinique de l’enfant, le placement familial est un outil formidable et peu onéreux »

Dans l’ouvrage « Prendre soin de l’enfant en accueil familial », Christian Allard, ancien responsable d’un placement familial et formateur, nous fait partager la réalité de l’accueil familial. Un témoignage où il livre, à partir de nombreuses vignettes cliniques, ses réflexions sur le sens de cet outil fragilisé aujourd’hui par la logique comptable et l’ignorance des administrations.

Vous dites qu’on ne peut comprendre le placement familial qu’en le vivant et qu’il faut l’avoir éprouvé pour le penser.
Dans le placement familial, nous travaillons avec l’inimaginable, l’inadmissible, l’impensable… C’est pour cela que j’ai voulu partager l’expérience d’une équipe. C’est en effet très difficile d’imaginer la folie si on ne la côtoie pas. C’est malheureusement ce qui explique les décisions souvent inappropriées des administrations, coupées de la réalité : par exemple, alors que 20% des enfants sont signalés dès la maternité, ils n’arrivent dans notre service qu’au mieux vers 3 ans. Ils sont alors dans des états terribles car les violences extrêmes qu’ils ont connues sont gravées durablement dans leur corp. Or plus la séparation est précoce, plus on a de chances de leur permettre de se construire.

Quel est l’objectif de l’accueil familial ?

Il s’agit d’apprendre à ces enfants, qui ont été exposés à des dysfonctionnements parentaux pathologiques, à ranger leur armure pour pouvoir apprécier la chaleur du foyer, la douceur de la soupe, la voix amie… De les aider à lâcher prise. Nous devons montrer à ces « grands brûlés de la vie » que l’on n’a pas besoin d’être toujours sur la défensive et de s’attendre au pire. Notre métier est de construire de l’humain, ce qui nous oblige à une grande prudence pour ne pas risquer, par des décisions inappropriées, de renvoyer le jeune vers le désespoir et la mort.

Quel est le rôle des assistantes familiales ?
Pour soigner ces enfants, qui ont été exposés à des dysfonctionnements parentaux pathologiques, il faut d’abord leur assurer une continuité relationnelle au sein d’une famille d’accueil. Les assistantes familiales sont les « supporters » de l’enfant et leur implication affective est indispensable. Elles assurent en effet une fonction maternelle contenante qui va aider le jeune à se construire. L’équipe doit donc tout faire pour garantir la continuité de la relation entre l’assistante familiale et l’enfant tout en empêchant que celle-ci ne soit enfermante. Elle doit aussi veiller à ce que cette intervenante reste bien à sa place à côté de l’enfant en évitant de lui demander par exemple de représenter le service auprès d’autre institutions.

Quelles sont les fonctions de l’équipe ?

Si le rôle de l’assistante familiale est de remettre l’enfant sur le chemin de la vie, celui de l’équipe pluridisciplinaire est d’aider l’enfant à tisser le fil de sa pensée. Il s’agit de l’aider à comprendre tout ce qui se passe autour de lui, ce qu’il a dans la tête, pour qu’il devienne sujet de sa propre vie. L’équipe assure ainsi une fonction de référence, exercée par un éducateur qui accompagne l’enfant dans tous ses lieux de vie et toutes ses interactions en particulier avec sa famille d’accueil et ses parents. Celui-ci partage les évènements et les émotions avec l’enfant, en les lui nommant pour qu’ils soient représentables, c’est un « moi auxiliaire ». C’est à lui que l’enfant, mis en confiance, pourra ainsi dire : « Est-ce que c’est normal qu’une mère cogne la tête de son fils contre les murs ? » « Est-ce qu’un enfant peut rendre folle sa mère en naissant ? ». Enfin le psychologue est là pour élaborer les choses qui résistent à l’éducatif. C’est un travail thérapeutique mais qui se fait à partir du réel et non dans le secret du cabinet, puisque le psychologue participe à la vie quotidienne de la famille d’accueil et de l’institution.

Vous dénoncez la réduction des coûts…

On veut faire des économies dans le placement familial alors que ce qui coûte cher ce sont les décisions aberrantes et maltraitantes des administrations comme les placements tardifs, les ruptures de placement ou les droits de visite trop importants accordés à certains parents… Si on met une petite équipe autour de l’enfant et qu’on respecte sa clinique, c’est un outil formidable et peu onéreux. Trois fois moins cher qu’un foyer !

Propos recueillis par Isabelle Sarazin.