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« Pour nombre de personnes handicapées, la sexualité est plus souvent source d’angoisse que de plaisir »

L’accès à la sexualité des personnes handicapées ne doit pas devenir un dogme, avertit le psychologue Michel Brioul. Dans son ouvrage, « Eros et handicaps : du corps de l’angoisse aux allées du désir », il invite les institutions à replacer la question de l’accompagnement de la sexualité de ces publics dans la réflexion clinique individuelle.

Vous dénoncez le discours dominant selon lequel les personnes handicapées devraient accéder à une vie sexuelle…
En fait, après une période de déni, voire de tabou de la sexualité des personnes handicapées au cours de laquelle cette question était occultée ou exclue des réflexions dans les structures médico-sociales, on est passé à l’autre extrême. Depuis quelques années, la sexualité est devenue un sujet central avec l’idée qu’elle serait incontournable à l’épanouissement de ces publics et leur permettrait d’être « comme tout le monde », voire même qu’elle aurait des vertus thérapeutiques ! Or, la sexualité est loin d’être une panacée universelle et un besoin inéluctable pour tout un chacun. Sans compter que pour nombre de personnes handicapées et/ou souffrant de difficultés psychiques, elle est plus souvent source d’angoisse que de plaisir.

Quel est justement le rapport des personnes handicapées à la sexualité ?
Il fait écho au rapport spécifique qu’elles entretiennent avec elles-mêmes, leur corps, les autres, la façon d’aborder le plaisir. La sexualité humaine ne peut se réduire à un orgasme supposé libérateur de tensions, comme on le dit trop souvent. C’est une dynamique où entrent en synergie la biologie, mais aussi les pulsions – qui sont principalement d’origine psychique et ne peuvent se confondre avec l’instinct animal ! -, les émotions et les affects, le social, les relations. Ainsi, selon la situation de chacun, la sexualité s’éprouve de façon différente : source de culpabilité pour certains névrosés, elle apparaît menaçante pour les psychotiques car elle les confronte à leurs angoisses existentielles et identitaires face à l’épreuve de la réalité, difficilement gérable pour les personnes déficientes qui en maîtrisent mal les codes, voire délictueuse pour les pervers qui en font un outil de domination sur l’autre.

Comment, dans ces conditions, les professionnels peuvent-ils accueillir la demande d’accès à la sexualité des personnes handicapées ?
Ils doivent d’abord éliminer l’éventualité du recours à la prostitution, désormais réprimé par la loi (1), et donc à « l’assistance sexuelle » (2), qui, par ailleurs, n’est qu’un leurre réduisant la sexualité des personnes à une jouissance assez bestiale. La réponse aux attentes parfois légitimes des personnes handicapées eu égard à leur sexualité suppose avant tout une écoute authentique et une compréhension du sens de la « demande » quand elle se manifeste. Il n’y a pas d’attitude universelle mais une adaptation à chacune et à chacun. Ce qui passe par une réflexion en équipe associant l’ensemble des compétences – psychologique et psychopathologique, éducative, pédagogique, sociale, légale – et visant à inscrire la parole du sujet dans la dynamique qui est la sienne et dans la représentation qu’il s’est construite de sa sexualité.

Quels principes doivent guider les professionnels ?
Ils doivent avant tout se montrer respectueux de la personne et de ses aspirations : c’est le principe éthique fondamental qui doit étayer toute pratique. C’est donc en fonction de la compréhension clinique de la personne que l’attitude juste doit être définie. C’est en se fiant à cette réflexion diagnostique, en permanence réévaluée, que les professionnels seront à même d’aider véritablement la personne, sans se référer à des normes ou à un système de valeurs externe au sujet. En matière de sexualité, il faut se souvenir que tout est possible entre adultes consentants. Mais lorsque les publics sont handicapés, déficients ou souffrent de pathologies psychiques, il est très difficile de s’assurer de ce consentement. La plus grande prudence s’impose donc. Le devoir des professionnels est d’abord de protéger les personnes vulnérables vis à vis d’elles-mêmes mais aussi des autres, à qui elles ne peuvent ni ne savent parfois dire non.
(1) La loi du 13 avril visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées interdit l’achat d’actes sexuels en rendant les clients passibles d’une contravention, voire d’une peine de prison.
(2) Assimilée en France à la prostitution, elle est notamment défendue en France par l’association Ch(s)ose (Collectif handicaps et sexualités) et Marcel Nuss et son Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas).

Propos recueillis par Isabelle Sarazin.