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« Il n’est pas toujours aisé pour le mandataire de savoir où placer le curseur entre autonomie et protection »

Faut-il intervenir ou au contraire s’abstenir d’intervenir ? Le livre « Mandataire judiciaire à la protection des majeurs : droits et obligations » écrit par Guylaine Chapuis, notaire de formation et chargée de cours, et Emmanuèle Vallas-Lenerz, ex-avocate, apporte des repères utiles aux professionnels en charge des mesures.

Pourquoi cet ouvrage ?
La loi du 5 mars 2007 a entendu replacer le majeur au centre du régime de protection et augmenter ses garanties en professionnalisant l’activité des personnes en charge des mesures. Les mandataires judiciaires à la protection des majeurs, qui assurent aujourd’hui plus de la moitié des mesures, doivent donc protéger la personne elle-même et ses biens tout en favorisant son autonomie. Un exercice délicat d’autant que leur rôle varie selon qu’ils exercent une mesure souple comme la sauvegarde de justice ou plus lourde comme la curatelle ou la tutelle. Et leur difficulté, parfois, à déterminer s’ils doivent intervenir ou au contraire s’abstenir. Il nous a donc semblé utile d’apporter des repères aux professionnels en nous appuyant sur le cadre de leur intervention et les décisions de jurisprudence.

Quels sont leurs droits et obligations concernant les biens de la personne ?
Leurs droits varient en fonction du régime juridique et de l’acte. Le décret du 22 décembre 2008 distingue, dans les actes de gestion du patrimoine, les actes d’administration et les actes de disposition et il détermine, pour chaque catégorie, les droits du mandataire selon la mesure qu’il exerce. Sachant que l’énumération n’est pas limitative. La loi fixe aussi des obligations, qui peuvent être communes à l’ensemble des mesures : par exemple, veiller à la protection du logement – qui est très important pour le majeur protégé – et respecter l’interdiction absolue d’aliéner les souvenirs et autres objets personnels. A cela s’ajoute depuis 2007 l’interdiction pour les professionnels d’ouvrir des comptes-pivots, qui leur permettaient de gérer les dépenses et recettes des personnes grâce à un compte unique de l’association.

Et en matière de protection de la personne ?
Le législateur a voulu privilégier l’autonomie de la personne qui prend seule, dans la mesure où son état le permet, les décisions personnelles la concernant notamment en matière de santé et de logement. Néanmoins si le majeur se met en danger, le mandataire peut, en fonction de la mesure qu’il exerce et de l’ordonnance qui le missionne, intervenir. Dans tous les cas, il a l’obligation d’informer la personne et de respecter ses actes personnels – décisions médicales ou choix du majeur de son lieu de résidence – et son autonomie. Mais dans la pratique, il n’est pas toujours aisé pour le mandataire de savoir où placer le curseur entre autonomie et protection.Et certaines difficultés, par exemple en matière d’accès du majeur à son dossier médical, qui est un droit fondamental, ou de soins psychiatriques pratiqués sans son consentement.

Comment le mandataire peut-il s’y retrouver ?
Il doit connaître le corps de règles lui permettant d’intervenir. De par sa formation, il est à même également de qualifier les actes – s’agit-il d’un acte de la vie courante, conservatoire, d’administration ou de disposition ? – et de déterminer l’étendue de ses pouvoirs. Et, en cas de difficulté, il peut prendre le conseil de professionnels du droit. Quoi qu’il en soit, s’il commet une faute, sa responsabilité sera engagée comme le montrent déjà les premières décisions de jurisprudence. C’est le revers de la professionnalisation, les mandataires ont des obligations et sont tenus de les respecter, ce qui est plutôt une bonne chose.

La chancellerie réfléchit à une évolution de la protection des majeurs avec l’idée d’augmenter les garanties de la personne… Qu’en pensez-vous ?
Ce chantier mené dans l’intérêt du majeur apparaît prometteur. Il est question notamment de renforcer le contrôle des comptes, effectué actuellement par les greffiers, en faisant appel à des professionnels. Vu la complexité des dossiers, cela paraît justifié. Toutefois, on demande beaucoup aux mandataires judiciaires qui ont plusieurs casquettes – juridique, sociale, psychologique… Si le métier est enrichissant, ils doivent être bons dans différents domaines. Pourquoi ne pas envisager à l’avenir une spécialisation de ces professionnels selon leur domaine d’intervention ?

Propos recueillis par Isabelle Sarazin