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« Même si le traumatisme rend KO, l’adolescent peut se relever et avancer »

Dans « Adolescence : du traumatisme de vie à la résilience », Nicolas Sajus, psychothérapeute et psychanalyste, défend l’idée qu’il est possible d’accompagner les jeunes qui ont été meurtris par la vie dans un processus de résilience. Et il propose des outils aux professionnels en contact avec eux.

Votre ouvrage est finalement un livre d’espoir pour les adolescents ayant subi précocement un traumatisme de maltraitance puisque vous défendez que, malgré la souffrance qu’ils ont subie, la résilience est possible et peut être favorisée…
Cet espoir ne relève pas d’une croyance dans le magique. Il se fonde sur ma pratique clinique auprès d’adolescents en grande souffrance, fracassés par la vie. J’ai ainsi constaté que ceux qu’on qualifie souvent d’ « incasables » ne sont pas aussi incasables que cela. Rien n’est joué d’avance. C’est comme un combat de boxe : même si le traumatisme rend KO l’adolescent, celui-ci peut se relever et trouver des ressources pour lutter et avancer. Et les professionnels de l’accompagnement peuvent l’aider à développer ses capacités de résilience.

Comment définir la résilience ?

C’est un néo-développement de la personnalité après un traumatisme. La personne va vivre un évènement très douloureux – violence, décès d’un proche, attentat, etc.- qui va effracter sa psyché créant un lien proche de la mort. Les sujets résilients sont capables de dire que leur vie a changé après le traumatisme. Ils ont réussi peu à peu par des aptitudes internes – humour, confiance en soi, acceptation de sa vulnérabilité – à se mettre à distance des évènements sans les répéter. Ils ont aussi, et c’est fondamental, rencontré une ou plusieurs personnes avec qui ils ont pu développer des liens d’attachement et de sécurité affective. Des « tuteurs de résilience » dont peuvent faire partie les professionnels en contact avec le jeune : éducateur, psy, enseignant, magistrat…

Justement comment les éducateurs en institution peuvent-ils être des « tuteurs de résilience » ?
En ayant des attitudes de non-jugement, d’écoute bienveillante et d’empathie. Mais l’empathie ce n’est pas plaindre le jeune, c’est l’accueillir dans ce qu’il est, croire en sa capacité réflexive tout en gardant une certaine distance afin de ne pas l’enfermer dans une relation de dépendance affective. Mais on est bien dans une relation éducative et non thérapeutique. C’est le lien que construit l’éducateur avec le jeune et ce qu’il met en place pour l’accompagner au quotidien, sa manière d’être, sa posture qui participent à l’engagement du processus de résilience chez le jeune.

Vous proposez des outils pour l’accompagnement de ces jeunes…
La résilience peut s’opérer grâce aux vertus de la parole et de la narration. Je propose des outils qui permettent d’organiser la mise en mots de la souffrance du jeune comme la narration et le récit de vie. Il s’agit d’aider l’adolescent à s’enraciner dans son histoire de vie afin qu’il se l’approprie et qu’il intègre son traumatisme pour le mettre à distance. On peut, par exemple, recourir au génogramme, qui est une représentation graphique de la famille et donne une vision systémique des relations entre ses membres. Cet outil peut être coconstruit par l’éducateur et le jeune. Il a l’avantage de fournir une codification de l’histoire de la personne qui peut être comprise par l’ensemble de l’équipe et de favoriser le travail pluridisciplinaire.

Les institutions doivent donc s’ouvrir à ces outils ?
Oui, car même s’ils ne sont pas une baguette magique et que tous les jeunes ne peuvent pas être résilients, ils sont des moyens pour aider l’adolescent à avancer. Ces outils ont été expérimentés et leur valeur scientifique a été démontrée. Ils offrent en outre une nouvelle perspective aux institutions, une voie de sortie possible, alors que la société a tendance à poser très vite des diagnostics stigmatisants sur ces jeunes meurtris par la vie et entretient une vision déterministe de la condition humaine.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin