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« Un management fondé sur l’éthique libère la capacité de création collective »

On ne peut diriger un établissement social et médico-social sans avoir un questionnement éthique sur ses pratiques, telle est la conviction de Roland Janvier, directeur général de la Fondation Massé-Trévidy. Dans « Ethique de direction en institution sociale et médico-sociale », il brosse les contours d’un management éthique.

Alors que les guides sur le management fleurissent, vous proposez un ouvrage sur l’éthique de direction. Pourquoi ?
Tous ces guides, qui expliquent les bonnes manières de manager, passent à côté de ce qui me semble essentiel dans la fonction de direction : le questionnement critique sur ses pratiques et ses prises de décision. Sachant que cette posture éthique a une coloration spécifique pour le directeur d’un établissement social ou médico-social qui accueille des publics vulnérables. Si, comme tout dirigeant, il est tenu de prendre des décisions « justes » vis-à-vis de ses salariés, il doit aussi tenir compte de la fragilité des personnes accompagnées et de la dimension politique de sa mission qui s’inscrit dans le projet de société de lutter contre l’exclusion. Dans tout acte de direction, il s’agit en permanence d’articuler ces trois éléments, ce qui échappe aux recettes toutes faites.

Dans une visée éthique, quel sens donner au projet d’établissement ?
Celui-ci doit être au service d’une « institution juste » au sens de Paul Ricoeur (1). J’ai l’habitude de dire que le projet est « un actif circulant », c’est-à-dire qu’il n’est pas un élément fixé une fois pour toutes mais qu’il passe son temps à se construire et à se réformer au fur et à mesure qu’il avance. Il s’agit donc pour le directeur d’envisager le projet d’établissement, qui est construit avec l’ensemble des parties prenantes – salariés, usagers, familles, gestionnaires -, comme un élément mobile et évolutif qui donne une direction et, en même temps, qui permette d’accueillir l’imprévu et l’initiative.

Vous appelez à un management « bienveillant », que voulez-vous dire ?

Il y a un continuum entre la bientraitance que nous devons aux usagers et la manière dont on encadre les salariés. Un système hiérarchique autoritaire basé sur le stress, pire sur l’humiliation et la soumission, ne permet guère à l’établissement de se montrer bienveillant et bientraitant à l’égard des usagers. La bienveillance, loin de renvoyer à une vision mièvre ou angélique du pouvoir, en appelle à l’intelligence collective et à la responsabilité réciproque des acteurs. Par exemple, la parole d’un directeur n’a en soi pas plus de poids que celle d’un salarié. Simplement, elle est investie d’une capacité à trancher des débats, fixer des orientations au groupe et à la communauté professionnelle. D’où l’importance de développer des espaces de débat, où la parole de chacun, quelle que soit sa place institutionnelle, est prise en compte.

Comment alors gérer les désaccords, voire les conflits ? …
Prendre au sérieux la parole de chacun met inévitablement en lumière des désaccords. Si on considère ces derniers comme une parole dangereuse et menaçante pour le pouvoir, on est dans le conflit. Mais si l’on intègre ces désaccords comme une dynamique instituante, on est plutôt dans la conflictualité. Il s’agit alors de reconnaître les désaccords pour tenter d’en tirer des éléments qui vont enrichir le projet commun. Mais cette manière de gérer le conflit, que j’appelle « la culture de la conflictualité », n’est possible que grâce à la bienveillance. C’est parce que l’autre se sent respecté dans sa dignité que je peux lui dire que je ne suis pas d’accord avec lui.

Dans le contexte de rationalisation budgétaire actuel, comment peut-on mettre en œuvre cette posture éthique ?
Face aux injonctions normalisantes des administrations la réponse n’est pas dans l’autoritarisme et la reproduction des pressions dont sont victimes les directions. Il est au contraire urgent d’être inventif, ce que permet un management fondé sur l’éthique parce qu’il libère la capacité de création collective. La réduction des moyens peut, par exemple, être l’occasion pour le directeur d’engager une réflexion au sein de son équipe afin de construire, grâce à l’intelligence collective, une réponse originale. Le durcissement actuel ne doit pas empêcher la réflexion éthique, bien au contraire !

(1) Paul Ricoeur : Soi-même comme un autre.
Propos recueillis par Isabelle Sarazin.