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« Face au deuil, les institutions doivent changer de paradigme »

Comment les établissements et les professionnels peuvent-ils accompagner la mort et la disparition ? Dans « Le temps du deuil en institution médico-sociale », Michel Brioul, psychologue et psychothérapeute, s’interroge sur le sens de ce moment particulièrement délicat et livre des pistes utiles pour l’action.

Le vieillissement, la mort, le deuil sont-ils tabous en institution ?
Ils ne sont pas tabous au sens où ils seraient interdits car sacrés et intolérables, mais plutôt scotomisés, c’est-à-dire évités car dangereux. Les institutions, qui sont confrontées au vieillissement de leur population, sont souvent démunies face à ces questions car leur système de valeurs est centré sur la vie active, le dynamisme, l’autonomie. Or, vieillir c’est perdre des sensorialités, de la vivacité, de la mémoire, ce qui implique d’aménager la prise en charge, voire de changer de paradigme. Il s’agit de passer de l’éducatif, centré sur la mise en place d’activités et la socialisation, au thérapeutique, centré sur la réduction de la souffrance et la vie quotidienne.
Les professionnels sont-ils formés à ces sujets ?
Très peu au cours de leur formation initiale. Si ces sujets ne sont quasiment pas abordés dans le cursus des éducateurs spécialisés et des moniteurs-éducateurs, ils le sont davantage dans celui des aides-soignants et surtout des accompagnants éducatifs et sociaux, mais cela reste insuffisant. Les institutions sont donc obligées de faire appel à des intervenants extérieurs dans le cadre de la formation permanente pour aborder le vieillissement, ses pathologies et les nécessaires aménagements de la prise en charge.
Quelles sont les dimensions psychiques du deuil notamment chez les personnes fragiles ?
Le deuil est la réaction psychologique consécutive à la perte d’un proche. Les publics en difficulté sont peu armés pour y faire face : ils ont du mal à comprendre la disparition, qui apparaît comme un évènement mystérieux ou générateur d’angoisse, à exprimer leurs émotions et à gérer mentalement le souvenir. Tout s’entremêle : le déni, la dépression, l’espoir, la culpabilité, la réalité et l’imaginaire… Il faut donc soutenir ces personnes et prendre en compte le deuil comme un moment de la vie, ce que les institutions ont encore du mal à faire.
Comment ces dernières peuvent-elles intégrer le deuil dans leur projet d’établissement ?
Les institutions doivent s’en préoccuper au même titre que n’importe quel autre évènement. Ne rien faire pourrait être assimilé à de la « non-assistance à personne en danger ». Il s’agit d’une responsabilité éthique impliquant le respect et la considération pour la souffrance de l’autre et la mise en place d’actions pour y répondre : restauration des rites culturels entourant la disparition et la mort, espaces d’écoute et de parole, accompagnement aux obsèques, visite sur la tombe, photos…
Comment les professionnels peuvent-ils accompagner les endeuillés ?
L’accompagnement du deuil peut se référer au modèle de l’intervention post-traumatique avec plusieurs étapes. Il s’agit, d’abord, de pouvoir rassurer la personne en écoutant sa souffrance et en faisant preuve de sollicitude. Ensuite de lui permettre de parler et de s’exprimer à propos du décès du proche. Enfin, il faut, au long cours, rester attentif à tout ce qui peut manifester des perturbations dans l’équilibre psychologique avec une attention au sommeil et aux comportements inhabituels, tels les évitements des marques du souvenir. Ce sont des signaux d’alerte qui doivent déclencher une procédure de soutien et/ou une consultation avec un psychiatre ou psychologue, autant d’ailleurs pour les résidents que pour les soignants. D’où la nécessité plus largement de restaurer les espaces cliniques, où la parole peut circuler, à l’intérieur des institutions.
Le deuil peut-il être l’occasion de renaître ?
Bien sûr, tout n’est pas négatif lors d’un deuil. Le vide laissé par l’absent disparu constitue un saisissement qui peut être l’occasion de s’inscrire dans un espace de création : de nouveaux projets, le développement d’une expression artistique. Réagir, se rebeller est le premier pas vers la reconstruction. C’est bien l’entrée dans une perspective d’avenir qui signe l’issue du travail de deuil.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin.